Troubles de perception des couleurs
Dysfonctionnements génétiques ou acquis ?
Absence de perception des couleurs ou achromatopsie, perturbation de la vision des couleurs ou dyschromatopsie… Ces deux phénomènes sont généralement la conséquence d’anomalies génétiques présentes sur les cônes, mais ils peuvent aussi survenir à la suite d’un accident, d’une maladie ou l’âge venant.
Par Prof. François-Xavier Borruat et Dr François Thommen, Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, Lausanne
Achromatopsie : définition et mécanismes
L’achromatopsie est une absence de perception des couleurs. La bonne perception des couleurs dépend de l’intégrité des voies visuelles, de l’œil au cerveau. Au niveau de l’œil, la première étape de la vision des couleurs se déroule grâce aux cônes, cellules photoréceptrices localisées dans la rétine. Une perception normale des couleurs dépend donc d’abord de l’intégrité des trois familles de cônes que l’être humain possède (S-cone, M-cone, L-cone). L’information visuelle transite alors par le nerf optique puis le long des voies visuelles intracrâniennes pour atteindre les lobes occipitaux, dévoués uniquement au traitement de la vision. Au niveau cérébral, il y a une aire corticale spécialisée dans l’interprétation des couleurs, l’aire V4 de localisation pariéto-occipitale. Il y a donc deux mécanismes possibles pour une achromatopsie, soit une atteinte rétinienne au niveau des cônes, soit une atteinte cérébrale postérieure au niveau de V4.
Achromatopsie rétinienne
Une achromatopsie rétinienne résulte d’une maladie héréditaire, habituellement autosomique récessive. Il s’agit d’une affection rare, son incidence étant de 1/30’000 à 1/50’000 naissances. Le tableau clinique est celui d’un nystagmus congénital (les yeux ne sont jamais stables, oscillant constamment de gauche à droite et vice-versa), d’une photophobie (intolérance à la lumière), d’une mauvaise acuité visuelle et d’une vision des couleurs absente ou très perturbée. Le diagnostic se fait par la présentation clinique et sera confirmé par un électrorétinogramme (enregistrement de l’activité électrique de la rétine en réponse à une stimulation lumineuse standardisée) qui montrera l’absence de fonction électrique des cônes alors que les bâtonnets (cellules responsables de la vision nocturne) fonctionnent parfaitement (cf. figure 1). A partir de l’âge de 5-6 ans, une imagerie multimodale peut aussi être effectuée, associant des photographies du fond d’œil, des images de la rétine en autofluorescence et en pseudo-infrarouge, ainsi qu’un OCT (tomographie en cohérence optique).
A ce jour, il existe 6 mutations de l’ADN nucléaire qui sont responsables d’achromatopsie rétinienne (CNGA3, CNGB3, GNAT2, PDE6H, PDE6C, ATF6). Il ne semble pas y avoir de présentation clinique particulière pour une mutation précise. Il est donc impossible de prédire la fonction visuelle en fonction de la mutation retrouvée. Pendant longtemps, les scientifiques ont considéré l’achromatopsie rétinienne héréditaire comme une rétinopathie congénitale non évolutive. Cependant, les données récentes de la littérature s’accordent sur le caractère lentement évolutif de l’achromatopsie rétinienne. Avec le temps, les performances visuelles vont décliner et l’atteinte rétinienne visualisée par OCT va aussi augmenter.
En 2007, des chercheurs ont réussi à restaurer la fonction de la vision colorée dans un modèle animal d’achromatopsie. Depuis, d’autres études ont démontré avec succès l’effet de la thérapie génique dans des modèles animaux (souris, chiens, moutons, singes). L’effet du traitement chez l’animal est durable et l’effet est plus prononcé chez les jeunes. En 2017, quatre études portant sur des sujets humains ont débuté (Allemagne, Angleterre, Israël, USA). Le matériel génétique est administré par un virus modifié qui est injecté sous la rétine, après avoir effectué une vitrectomie (ablation chirurgicale du vitré) (cf. figure 2). A ce jour, ces études portent sur le remplacement des mutations les plus fréquentes, CNGA3 et CNGB3. Les résultats de ces études seront connus entre 2020 et 2021.
Achromatopsie cérébrale
Une achromatopsie cérébrale est une conséquence rarissime d’un accident vasculaire cérébral. En général, un déficit du champ visuel de type homonyme est présent, et le champ visuel supérieur est atteint. Il n’y a pas de nystagmus, l’acuité visuelle est souvent préservée, et il n’y a pas de photophobie. Le diagnostic se fait par l’anamnèse, l’examen clinique et par IRM, démontrant une lésion dans la région de l’aire V4 (Figure 4). Parfois, une achromatopsie cérébrale peut être l’une des séquelles permanentes après une cécité corticale (cécité survenue à la faveur d’une atteinte des deux lobes occipitaux). La vision, qui était initialement totalement absente, s’améliore petit à petit, mais le patient voit alors en noir et blanc, avec un champ visuel qui est altéré notamment supérieurement. Il n’y a pas de traitement qui puisse être proposé à ces patients.
Dyschromatopsie : définition et causes
Contrairement à l’achromatopsie où la perception des couleurs est absente, la dyschromatopsie consiste en une perturbation de la vision des couleurs par un dysfonctionnement d’origine soit génétique, soit acquis.
La plupart des dyschromatopsies héréditaires sont liées à une anomalie sur un (ou plusieurs) groupe(s) de cônes. Comme déjà mentionné, il existe trois types de cônes, schématiquement rouge, vert et bleu. Les dichromatismes les plus fréquents sont les protanopie et deutéranopie (respectivement absence de fonctionnement du canal rouge et vert), les trichromatismes anormaux (protanomalie et deutéranomalie, respectivement dysfonctionnement du canal rouge et vert) et les monochromatismes à cônes S (short wave/cônes bleus) par absence de fonctionnement des canaux rouge et vert. Ces daltonismes sont liés à des mutations récessives sur le chromosome X, raison pour laquelle ils sont beaucoup plus fréquents chez l’homme que la femme. Ces atteintes sont en général non évolutives avec, pour le reste, une fonction visuelle parfaitement normale.
Les tritanopies héréditaires (absence de fonctionnement du canal bleu) sont beaucoup plus rares et d’origine autosomale (non liées à l’X), elles sont de plus associées à une acuité visuelle limitée.
Il existe en outre une multitude de dyschromatopsies acquises par altération structurelle/fonctionelle des cônes, des voies optiques (en particulier du nerf optique) ou du cortex visuel primaire et/ou de ses aires associatives en raison d’une maladie. Contrairement aux formes héréditaires, l’atteinte est souvent asymétrique et évolutive.
La perception des couleurs peut donc se modifier avec l’âge. Par exemple, en cas de neuropathie optique ou toute maculopathie, la perception des couleurs se modifiera. Une atteinte de la transparence des milieux optiques (le plus fréquemment en raison d’une cataracte) va elle aussi induire un décalage spectral de la lumière visible avec diminution de la pénétration des longueurs d’ondes courtes (bleu/violet) et donc un jaunissement de l’image.