Transition de l’école spécialisée pour élèves en situation de handicap visuel vers une école inclusive :
Un siècle d’histoire des écoles spécialisées illustré par le Sonnenberg


Un siècle de transition : du foyer pour enfants aveugles de jadis à l’actuel centre de pédagogie curative spécialisée – le Sonnenberg, centre de compétence de la vision, du comportement et de la parole sis à Baar – fête ses 100 ans d’existence en 2025. Illustrant le parcours des écoles spécialisées pour élèves en situation de déficience visuelle, il démontre de façon éclatante combien l’intégration et la diversification ont changé le paysage éducatif.
Par Michel Bossart, auteur externe
En 2025, le Sonnenberg, centre de compétence de la vision, du comportement et de la parole, fête ses cent ans. Le professeur Jost Troxler, l’un de ses fondateurs, n’en croirait pas ses yeux. En 1906, il a joué un rôle prépondérant, aux côtés du médecin- conseil Laurenz Paly, dans la création, par des hommes politiques et citoyens de Lucerne avec le soutien des soeurs du couvent de Baldegg, de la « Blinden-Fürsorge-Verein Innerschweiz » (BFVI, en français : association pour le bien des aveugles de Suisse centrale). Dans la première version de ses statuts, au chapitre des buts de l’association, on pouvait lire : collecter des fonds pour construire une institution destinée à des personnes aveugles du canton de Lucerne vivant seules ou se trouvant dans le besoin pour d’autres raisons. En 1921, un home s’est ouvert à Horw près de Waldegg, suivi, en 1925, par une école pour les enfants aveugles de Suisse centrale, au Sonnenberg, à Fribourg. A l’époque, le Sonnenberg était une sorte d’internat. Les enfants y résidaient le temps de leur scolarité et ne pouvaient rentrer chez eux que trois à quatre fois par an. Thomas Dietziker, directeur du centre de compétence, déclare : « Aujourd’hui, les enfants demeurent autant que possible dans leur famille et sont accompagnés selon leurs besoins par des professionnels qui les soutiennent aussi dans leur intégration sociale. »
On a donc assisté à la transition d’une école spécialisée avec internat à la création d’un centre de compétence comme celui du Sonnenberg, qui propose un enseignement spécialisé intégratif et séparatif, un service pédagogique et une offre de thérapies de soutien. Les cent ans du Sonnenberg sont l’occasion d’illustrer le chemin parcouru.
Histoire de l’évolution
Tout d’abord séparés des élèves voyants, les enfants aveugles ont suivi des écoles séparatives spécialement construites à leur intention. A la fin des années 80 s’est produit un changement de paradigme profond : « La séparation n’allait alors plus de soi », explique Thomas Dietziker. Désormais, il s’agissait d’intégrer autant que possible les enfants aveugles et malvoyants dans des classes ordinaires. « Je suis favorable à cette approche », ajoute-t-il, même si, aujourd’hui encore, elle ne se fait pas toujours sans difficultés pour les enseignants concernés, concède Thomas Dietziker. « Tous sont très sollicités, voire malheureusement souvent surmenés, faute de disposer des connaissances spécialisées et du soutien des professionnels compétents nécessaires », précise-t-il. Pour faire de l’intégration une réussite, il convient de recourir au conseil, à l’accompagnement et au soutien d’organisations spécialisées. De même, l’enfant concerné doit pouvoir s’appuyer sur le soutien de spécialistes qui réponde à ses besoins spécifiques. Ces mesures de soutien ne sont pas uniquement essentielles pour les élèves concernés, mais aussi pour les professionnels des écoles ordinaires qui les accompagnent. L’intégration a du sens pour autant que les conditions-cadres auxquelles elle est soumise offrent l’égalité en termes de participation à l’enseignement, l’absence de barrières et des informations accessibles en tout temps.
Dans les années 70, un agrandissement du Sonnenberg à Fribourg aurait été nécessaire. Néanmoins, l’Office fédéral des assurances sociales exigeant la mise en place d’une institution similaire en Suisse centrale, la BFVI s’est mise en quête d’un terrain adéquat qu’elle a trouvé à Baar, dans le canton de Zoug. La nouvelle école a été inaugurée en 1981. « Réservée à l’époque exclusivement aux élèves en situation de handicap visuel, elle desservait une région s’étendant jusqu’en Suisse orientale, voire en Autriche, puisqu’elle accueillait aussi des élèves venus du Vorarlberg. Une école de jour a également proposé ses prestations. Dès 1986, le travail de réadaptation s’est mis en place dans le domaine de l’éducation précoce spécialisée et, en 1987, des formations internes ont été proposées au personnel du Sonnenberg pour le sensibiliser à la basse vision. En 1990, le service pédagogique itinérant a démarré. « Ce service mobile a permis d’apporter un soutien à domicile pour les activités journalières aux enfants aveugles et malvoyants présentant un besoin de prise en charge minimal. »
Peut-on parler aujourd’hui, par rapport à 1990, de scolarité inclusive, Monsieur Dietziker ?
« Non ‹ inclusive › est un terme galvaudé. Le chemin pour aboutir à l’inclusion est encore long. Au Sonnenberg, nous parlons plutôt de ‹ scolarisation spécialisée intégrative ›. L’enfant fréquente l’école ordinaire et nous lui prodiguons le soutien complémentaire nécessaire pour mener à bien sa scolarisation au quotidien. »
« Mais alors quand vivra-t-on l’ ‹ inclusion › ?
« Lorsque tous les élèves bénéficieront d’un enseignement dans le même lieu, que plus personne ne subira l’exclusion, que l’accès à la formation sera garanti pour toutes et tous, indépendamment de leur situation et de leurs besoins, et que l’absence totale de barrières sera réalisée, alors, on pourra vraiment parler d’ ‹ inclusion ›. »
Révolue l’école spécialisée au sens classique
En 2000, le Sonnenberg s’est enfin diversifié, passant d’une école spécialisée pour élèves en situation de handicap visuel à un centre scolaire et de consultation spécialisé en pédagogie curative. En 2001, l’école a ouvert sa première classe avec des enfants présentant des troubles du langage et du comportement, et en 2008, des élèves en situation de polyhandicap ont pour la première fois été scolarisés dans le cadre d’un programme intitulé « Basse Vision Voir Plus ». Aujourd’hui, le groupe d’enfants et d’adolescents aveugles ou malvoyants est plus petit. Le Sonnenberg accueille plus souvent des enfants et des adolescents avec déficience visuelle ou cécité avec handicaps associés ou des élèves autistes, présentant des troubles du comportement ou ayant une maladie psychique regroupés dans des classes qui leur sont destinées. Le directeur de l’institution ajoute : « Le Sonnenberg n’est définitivement plus uniquement une école spécialisée pour élèves aveugles et malvoyants. » Un tel centre n’est plus indispensable, la plupart des élèves concernés étant en mesure de suivre une école ordinaire, dans leur environnement familier, moyennant un soutien adéquat et pertinent. « Une intégration partielle peut également se révéler judicieuse : les enfants et adolescents passent la journée en école ordinaire et bénéficient du soutien approprié dans l’enceinte de l’école spécialisée », explique Thomas Dietziker. Cependant, cette diversification a exigé au préalable beaucoup de temps et surtout l’acquisition d’une solide expertise. « Nous avons dû repenser notre institution, sachant que la ‹ vision › ne constituait plus notre unique priorité, et nous façonner une identité plus large, un processus qui a pris des années », se souvient Thomas Dietziker, satisfait de cette évolution. Il ajoute : « Aujourd’hui, le Sonnenberg ne se considère pas seulement comme une école spécialisée, mais comme une partie intégrante du système scolaire, avec des tâches spécifiques et un professionnalisme élevé dans diverses disciplines. »

Évolution de la formation et des structures
Ces vingt dernières années, la formation du corps enseignant a beaucoup évolué pour répondre aux exigences sociétales. Longtemps, les enseignantes et enseignants ont dû suivre le cursus « Basse Vision Voir plus » en Allemagne. Thomas Dietziker explique : « Actuellement, le parcours classique est le suivant : un enseignant formé s’intéresse au travail avec des enfants en situation de déficience. Il commence chez nous avec une autorisation spéciale valable au maximum trois ans. S’il s’avère apte aux tâches relevant de la pédagogie spécialisée curative, il doit commencer, durant ce laps de temps, une formation en cours d’emploi dispensée par une haute école afin d’obtenir un master en enseignement spécialisé. Selon les écoles, la formation dure six à dix semestres. »
Naguère encore, la pédagogie sociale et la pédagogie curative étaient deux disciplines bien distinctes au Sonnenberg. Aujourd’hui, ces dernières se rapprochent toujours davantage : « Bien des activités se font en commun, d’où une collaboration étroite et intense. Les mesures thérapeutiques sont partiellement intégrées dans l’enseignement. Nous avons constaté que lorsque nous échangeons constamment, tout fonctionne bien mieux. Les enfants bénéficient d’une prise en charge et d’un soutien optimaux », affirme Thomas Dietziker. Pour répondre à ces nouvelles exigences, l’école a été réhaussée d’un étage en 2008. En 2013, un nouveau bâtiment a été construit, puis réhaussé lui aussi d’un étage en 2023. Des salles ont été louées et l’école pour élèves autistes a été partiellement externalisée. Thomas Dietziker précise : « Pour répondre à la situation actuelle, nous avons besoin de salles totalement différentes. Alors qu’en 1981, on construisait encore un ‹ biotope › pour un groupe spécifique donné, les besoins sont aujourd’hui tout autres. »
Une année de jubilé tout en moments phares
Le Sonnenberg a 100 ans : l’école de Fribourg appartient certes au passé, mais n’est-ce pas une bonne raison de l’honorer comme il se doit ? La devise du jubilé : « Nous célébrons cent ans d’histoires, de rêves et de vies. » Les 13 et 14 juin 2025 se dérouleront les journées portes ouvertes ainsi que la cérémonie officielle du centenaire. « Pendant toute l’année, nous proposerons des événements pour les enfants, le personnel, les autres spécialistes, toute la population et les personnes intéressées », promet le directeur général.
Ecoles spécialisées pour élèves en situation de déficience visuelle en Suisse
– CPHV, Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue, Lausanne
– Kompetenzzentrum Pädagogik | Therapie | Förderung (KPTF), Münchenstein
– Schule Fokus Sehen (SFS), Zürich
– Sonnenberg, Kompetenzzentrum Sehen Verhalten Sprechen, Baar
– Stiftung für blinde und sehbehinderte Kinder und Jugendliche, Zollikofen
– Stiftung visoparents, Zürich
– Tanne, Schweizerische Stiftung für Taubblinde, Langnau am Albis
Pour plus d’informations : www.ucba.ch/contact/ecoles