Troubles oculaires liés à l’albinisme
Hypoplasie maculaire et fovéolaire : la cause principale d’une diminution de l’acuité visuelle
Tiré du latin ‘alba’ : blanc, l’albinisme est une anomalie héréditaire de la pigmentation des yeux, de la peau et des cheveux. Cette anomalie peut être plus ou moins prononcée. L’albinisme est une maladie génétique en mode autosomal récessif. Rarement, lorsqu’il s’agit d’un albinisme oculaire (qui n’affecte que les yeux), transmis sur le chromosome X, il peut être héréditaire.
par Prof. Dr. Christina Gerth-Kahlert, département orthoptique de la clinique de l’œil de l’hôpital universitaire de Zurich
Comment les yeux sont-ils affectés ?
L’œil renferme des pigments qui se concentrent surtout dans l’iris et l’épithélium pigmentaire rétinien (l’une des couches de la rétine). Chez une personne présentant un albinisme, la teneur en pigment est réduite de sorte que les yeux paraissent le plus souvent translucides et qu’ils sont bleus ou brun clair, en fonction du défaut génétique et de l’origine ethnique de la personne. Si l’on observe l’iris sous un éclairage indirect, l’on voit par transparence, le reflet rosé de la rétine et même le bord du cristallin habituellement recouvert par la pigmentation de l’iris (cf. illustration 1). La rétine est très claire et laisse transparaître les vaisseaux de la choroïde. Une caractéristique typique de l’albinisme consiste en l’absence du reflet maculaire produit par la fovéa en son centre (zone d’acuité maximale). Le cliché en couche obtenu par la tomographie par cohérence optique (OCT) montre, chez les personnes saines, une dépression de la rétine dans la zone maculaire. Ce n’est pas le cas chez les albinos (cf. illustration 2). Ainsi, le cliché en couche obtenu par la OCT se révèle fort utile en l’absence d’un diagnostic clair. En cas d’albinisme, les vaisseaux de la rétine traversent la zone maculaire. Tous ces signes sont typiques d’une malformation de la macula et de la fovéa (hypoplasie maculaire et fovéolaire). L’insuffisance ou l’absence de pigmentation de la rétine entraîne en outre une hypersensibilité à l’éblouissement.
L’acuité visuelle de la personne albinos est réduite. Cela peut varier d’une diminution forte (acuité de 0.1) à une déficience légère (acuité de 0.7). On ne peut pas établir avec certitude, dès la naissance, si le nouveau né peut voir et regarder les objets. En effet, un retard de maturation visuelle n’est pas rare. Ainsi, durant leur première année de vie, le potentiel visuel s’améliore dans le cadre du processus de maturation cérébrale, qui s’ajoute aux autres processus de maturation. La vision des couleurs est décrite comme non altérée. Fréquemment, le port de lunettes est nécessaire, en particulier pour corriger l’astigmatisme (anomalie de la courbure cornéenne). Souvent, ce trouble s’accompagne d’un strabisme. Les patients atteints d’albinisme présentent également un nystagmus congénital (tremblement des globes oculaires qui survient dès les trois premiers mois de leur vie). Les yeux effectuent alors des mouvements pendulaires ou saccadés. Aussi, certaines personnes albinos adoptent-elles un port de tête bien spécifique pour diminuer les effets du nystagmus.
L’examen de la voie optique (liaison nerveuse entre l’oeil et le centre de la vision situé dans le cerveau) révèle certaines altérations caractéristiques : alors que chez les personnes saines, 55 % des fibres des nerfs optiques des deux yeux se croisent au chiasma, cette proportion atteint jusqu’à 80 %, voire 90 % chez les personnes albinos. Il en résulte un changement dans le traitement de l’impression visuelle et une baisse de la vision stéréoscopique.
Pourquoi le potentiel visuel s’en trouve-t-il diminué ? La cause est peut-être à chercher dans l’hypoplasie maculaire et fovéolaire. De la malformation de cette zone rétinienne découle l’absence, dans la fovéa, de cellules visuelles très différenciées (cônes), d’où une péjoration de l’acuité visuelle.
Différence entre albinisme oculaire et albinisme oculo-cutané
L’on distingue deux formes d’albinisme : tandis que la première n’affecte que les yeux (albinisme oculaire), la seconde a des répercussions sur la peau, les cheveux et les yeux (albinisme oculo-cutané). L’albinisme oculaire se transmet génétiquement par le chromosome X. Etant donné que les hommes ne sont porteurs que d’un seul chromosome X – alors que les femmes en ont deux – ils sont affectés en cas de défaut génétique. Nous trouvons un indice de présence d’albinisme xchromosomique dans les familles dans lesquelles une génération sur deux compte des hommes concernés (exemple : le petit-fils est concerné, sa mère ne l’est pas, mais son grand-père maternel l’est lui aussi). Le degré d’affectation par cette forme d’albinisme peut varier d’un membre de la famille à l’autre. Il peut arriver que l’iris soit pigmenté. La personne concernée a donc les yeux bruns. Cependant, dans la plupart des cas, l’iris est radiotransparent et l’albinisme xchromosomique devient ainsi cliniquement prouvable et le diagnostic peut alors être posé. La présence d’une hypoplasie maculaire signale celle d’un albinisme xchromosomique. Avec cette forme d’albinisme, l’acuité visuelle peut être suffisante pour permettre l’obtention d’un permis de conduire. L’examen d’un porteur féminin du gène défectueux, à savoir en général de la mère de l’enfant chez qui un albinisme xchromosomique est suspecté, peut être déterminant pour l’établissement du diagnostic. En effet, les porteuses du gène défectueux (excepté les femmes appartenant à une ethnie à la peau foncée) présentent une pigmentation modifiée de l’iris et de la rétine (zones de pigmentation mouchetées : cf. illustration 3), mais sans déficience visuelle.
L’albinisme oculo-cutané (AOC) touche la pigmentation de la peau, des cheveux et des yeux. Le type AOC1 est caractérisé par l’absence totale de pigment. Les autres types, de 2 à 4, en disposent en petite quantité, qui augmente légèrement avec l’âge. Les personnes de type 1A ont une acuité visuelle très réduite (généralement à 0.1), alors que celles atteintes d’autres formes d’albinisme ont parfois une acuité visuelle légèrement plus élevée.
L’albinisme oculo-cutané n’est que rarement lié à d’autres troubles, tels des problèmes de coagulation sanguine (syndrome de Hermansky-Pudlak) ou un déficit immunitaire (syndrome de Chédiak-Higashi).
Quels examens sont-ils recommandés et à quel moment ?
Selon le type d’albinisme, le diagnostic peut être établi très tôt (diagnostic visuel instantané). C’est le cas chez les bébés présentant une peau et des cheveux clairs, des yeux translucides tremblants et une attention visuelle réduite. Quand la pigmentation est réduite et s’accompagne d’un nystagmus et d’une altération du reflet maculaire, il y a diagnostic présomptif d’albinisme. Toutefois, ce dernier ne pourra être confirmé ou infirmé qu’avec le temps et à l’aide de tests génétiques. Lorsqu’il s’agit d’un albinisme oculaire, l’examen de la maman et, le cas échéant, de générations précédentes, fournit de précieux renseignements (voir ci-dessus). Un examen ophtalmologique est dans tous les cas conseillé dès que possible afin d’introduire sans tarder, si des troubles de la vue sont diagnostiqués, des exercices de stimulation visuelle, des moyens auxiliaires adéquats et des analyses complémentaires (chez un dermatologue notamment). Une consultation accompagnée d’un test génétique à la demande des parents ou du patient lui-même sont à recommander. Chez un enfant, l’albinisme est à considérer comme une infirmité congénitale. Dès lors, une déclaration de cette dernière auprès de l’AI est à envisager.
Traitements possibles
Aujourd’hui, il n’existe malheureusement aucune thérapie à même de juguler l’albinisme au stade du développement de l’œil. Toutefois, l’hypermétropie, la myopie ou l’astigmatisme se corrigent avec des lunettes ou des lentilles adéquates. S’agissant des moyens auxiliaires, l’on peut recourir à des lunettes munies de verres solaires ou de filtres barrages ainsi que des lentilles de contact teintées. Un soutien basse vision à l’aide de moyens auxiliaires optiques devrait démarrer très tôt. Il est rarement possible de corriger une posture de la tête préjudiciable par l’opération d’un muscle oculaire.
Fort heureusement, en Europe les personnes albinos n’ont pas vraiment à se protéger de l’exclusion, de fortes discriminations ou d’actes de violence. Par contre, un soutien psychologique est nécessaire, car chez nous aussi, « avoir l’air différent » n’est pas toujours accepté.
Légendes des illustrations
Illustration 1 : Patient présentant un albinisme oculo-cutané. Son iris est translucide (image de gauche) : il apparaît que la pigmentation insuffisante rend l’iris radiotransparent et le bord du cristallin visible (image au centre), ce qui n’est pas le cas avec une pigmentation normale. En l’absence de pigmentation, le fond de l’œil apparaît plutôt dans des tons allant du jaune clair au rose. Le bâtonnet noir sur l’image montre la direction du regard du patient et de ce qu’il fixe. (Image de droite) Le patient a une acuité visuelle sur les deux yeux de 0.2.
Illustration 2 : Exemple d’albinisme oculaire
Le fond de l’œil est peu coloré, mais plus que sur l’illustration 1, et les vaisseaux coroïdiens, situés plus en profondeur, ne transparaissent pas à travers la rétine. Le reflet rouge de la rétine est esquissé. (Image de gauche). A droite, des clichés en couche OCT de la rétine centrale du patient (image supérieure) et celle d’une personne sans albinisme (image inférieure). Dans ce type d’albinisme, la dépression au centre de la macula est inexistante ou peu prononcée. L’acuité visuelle des deux yeux est de 0.8.
Illustration 3 : Exemple de femme présentant un albinisme oculaire
La rétine a une pigmentation plus foncée. Sur l’image de droite figurent des sortes de taches noires, comme des traînées de saleté. Ce phénomène s’explique par le fait que ces femmes sont porteuses de deux chromosomes X, et la mutation génétique ne touche que l’un d’eux. Ainsi, la teneur en pigment n’est pas altérée dans toutes les cellules rétiniennes, d’où l’aspect moucheté de l’œil. Dans ce cas, aucune péjoration de la vision n’est constatée.