Durant la partie statutaire de l’assemblée des délégués 2018, ces derniers ont nommé, par acclamation, Rose-Marie Lüthi Kreibich membre d’honneur de l’UCBA. Par un discours émouvant, Helene Zimmermann, membre du comité de l’UCBA, a rendu hommage à Rose-Marie Lüthi-Kreibich pour son travail et son engagement en faveur de la typhlophilie. Voici l’intégralité du discours prononcé à cette occasion. 

 

Rosemarie Lüthi-Kreibich.

Photo: UCBA

Chère Rose-Marie, chers délégués, chers invités, chers accompagnants,

Toute personne active au sein de la typhlophilie a certainement déjà croisé Rose-Marie Lüthi-Kreibich. Plus de cinquante années durant, elle a en effet marqué ce domaine, en Suisse et à l’étranger, par sa personnalité et par son engagement.

Pour préparer ce discours, j’ai demandé à plusieurs personnes ce qui caractérisait Rose-Marie et son travail. Les témoignages ont tous concordé : elle est résolue, ose s’exprimer, s’engage en faveur du braille et possède de grandes connaissances. Personnellement, je l’ai rencontrée pour la première fois lors d’une manifestation à l’ « Ostschweizerischer Blindenfürsorgeverein » (OBV), alors que j’avais encore un petit reste de vision. Alors membre du comité, je me suis vite rendue compte qu’étant elle-même concernée, elle savait mettre le doigt sur les besoins des personnes aveugles.

Après être moi-même devenue aveugle en 1998, j’ai appris à mieux connaître Rose-Marie. Aujourd’hui encore, la manière dont elle a réussi à me convaincre d’apprendre le braille reste pour moi un mystère. La première heure lui a suffi pour diagnostiquer chez moi une « dyslexie du braille ». Toutefois, après la deuxième leçon, je suis arrivée à sentir clairement la différence entre les lettres braille « i» et « e ». Depuis, je sais combien le braille est important. Bien plus que de m’enseigner le braille avec patience, Rose-Marie m’a énormément aidée à faire face au quotidien de la personne aveugle que je suis devenue. Avec toujours une note d’humour, elle m’a expliqué, avec tous leurs tenants et aboutissants, les dernières nouvelles de la typhlophilie. La détermination, la reconnaissance des besoins spécifiques des personnes aveugles et l’acquisition de connaissances spécialisées font aussi partie des précieux atouts qui ont jalonné son impressionnant parcours professionnel.

En recourant aux possibilités de l’époque, c’est-à-dire sans l’aide d’un ordinateur, elle a obtenu, malgré son handicap, une maturité, puis a étudié l’enseignement et la pédagogie spécialisée. Elle a ensuite conclu ses études à l’Université de Zurich par un doctorat. Sa dissertation a porté sur l’importance de l’ouïe pour les aveugles. Son parcours, certes unique, témoigne de son énorme volonté qui l’a non seulement portée plus loin, mais qui a aussi changé les mentalités au sein de la typhlophilie. Ce que j’apprécie tout particulièrement chez Rose-Marie, c’est son savoir et le fait qu’elle ne prend personne de haut, malgré son titre de docteur en philosophie. Elle aime d’ailleurs à relever que mesures et moyens auxiliaires doivent être conçus pour le commun des mortels, et non uniquement pour le spécialiste averti.

On pourrait en écrire des livres sur les nombreux engagements de Rose-Marie en faveur des personnes aveugles et malvoyantes. Je voudrais en mentionner deux : celui en faveur du braille et son immense engagement à titre bénévole. Je commence par le braille qu’elle a marqué de son empreinte. Le passage du noir au braille lié à la perte de la vue fut une césure telle que depuis 1959, elle orthographie son nom différemment. Ainsi, la Rosmarie de tous les jours est devenue la Rose-Marie si typique que l’on connaît aujourd’hui. Reconnaissant dans cette écriture géniale la clé de la formation, elle a fait de ses « points primordiaux » sa profession et son hobby.

En Suisse comme à l’étranger, elle a marqué de son experte empreinte, avec une grande passion,  l’utilisation et l’évolution du braille. En sa qualité d’enseignante, elle a réussi à persuader de nombreux élèves d’apprendre le braille en leur faisant lire des textes captivants. Pour nombre de ses étudiants, elle fut sans conteste un exemple. Jamais il n’y a eu de conversation entre nous sans qu’elle ne parle du roman policier qu’elle était en train de dévorer. Rares sont ceux qui parviennent à prendre aussi vite qu’elle des notes à la tablette !

Au fil des années passées à enseigner le braille à l’OBV, la quantité d’exercices et de textes, matériel didactique qu’elle a pour la plupart elle-même constitué, est devenue énorme.

Venons-en maintenant à ses activités bénévoles : en 1979, l’enseignante de braille, engagée par l’OBV à St-Gall, est élue au comité de l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA). Ce sera pour elle un grand honneur de prononcer l’allocution officielle à l’occasion de la célébration des 75 ans de l’UCBA. A l’époque, la collaboration entre membres voyants et non-voyants du comité était bien différente d’aujourd’hui. En effet, l’égalité des chances n’était encore guère à l’ordre du jour. 1981, année internationale des personnes handicapées, fut l’occasion d’émettre un signe. En effet, des membres concernés du comité n’étaient alors pas satisfaits de la manière de traiter certains objets de l’ordre du jour ni de la forme dans laquelle étaient produits certains documents.  Durant la préparation d’une séance, Rose-Marie a décidé, avec d’autres membres concernés du comité, qu’il était temps que cela change. Ainsi, elle a rédigé, en braille « uniquement », le point du jour en question pour que les voyants comprennent combien il est désagréable de devoir se faire lire des documents. Cette « leçon à la Rose-Marie » n’a pas tardé à porter des fruits. Par la suite, les documents ont été rapidement transcrits en braille par la SBS. Par ce signe marquant, Rose-Marie a fait un pas de géant vers l’égalité des chances.

Elle se souvient avec plaisir du temps où, membre du comité, elle a contribué à l’élaboration des nouveaux statuts. Elle est aussi heureuse d’avoir participé à l’élection de Matthias Bütikofer au poste de directeur de l’UCBA. Mais son engagement dépasse largement ses activités au sein du comité de l’UCBA. Au départ, elle a également participé aux travaux du comité de la section Regionalgruppe Zurich de l’Union suisse des aveugles ((USA) dont elle fut la présidente 34 années durant. Elle en démissionna en 2017. Entre 1996 et 2017, elle a également présidé la commission suisse alémanique du braille. Il lui importait que les personnes aveugles et malvoyantes ne doivent pas apprendre le braille par elles-mêmes, mais avec des enseignants dûment formés, disponibles dans toute la Suisse. Dans cette fonction, elle a participé en qualité de responsable à la conception du cursus de formation des enseignants de braille. Très engagée, elle s’est toujours investie pour que l’enseignement du braille demeure un travail sensé pour les enseignants du braille concernés. Les moyens auxiliaires lui ayant toujours tenu à cœur – c’est encore le cas aujourd’hui – elle a longtemps présidé la commission UCBA des moyens auxiliaires. Avant l’apparition des détecteurs de couleurs, elle a par exemple découvert que le marquage en braille des habits était une grande aide à l’autonomie.

En 2005, après 26 années d’activité, Rose-Marie s’est retirée du comité de l’UCBA afin de se donner de la place et de l’espace pour affronter de nouveaux défis. En 2016 et 2017, elle a été co-présidente du comité de l’Union suisse des aveugles. Durant toutes ces activités, Rose-Marie s’est toujours investie sans compter en faveur de l’égalité des personnes malvoyantes et aveugles. Elle a toujours contribué à un climat de bonne entente au sein de l’UCBA. En matière de politique sociale, plus particulièrement du handicap visuel avec l’âge, elle continue à s’engager, notamment en tant que membre du comité de la FARES (Fédération des Associations des retraités et de l’entraide en Suisse).

Afin de témoigner à Rose-Marie Lüthi-Kreibich notre plus profonde gratitude pour l’immense travail accompli et pour son inlassable engagement en faveur de l’UCBA et, partant, de la typhlophilie tout entière, je propose, au nom du comité,  à l’assemblée des délégués, de lui décerner, par acclamation,  le titre de membre d’honneur.

Chère Rose-Marie, nous sommes heureux de t’accueillir parmi nos membres d’honneur et te remercions de tout cœur pour ton engagement incessant et extraordinaire.

Helene Zimmermann, membre du comité de l’UCBA