CVI – un phénomène sous-estimé
Chiffres, faits et diagnostic : bref tour d’horizon
Autrefois, les déficiences visuelles étaient surtout dues à des troubles ou à des pathologies oculaires. A la fin des années 50, elles ont davantage été engendrées par des lésions cérébrales. Les raisons de cette évolution : une meilleure prise en charge médicale et ophtalmologique qui a permis à davantage de nouveau-nés et d’enfants gravement malades de survivre. Aujourd’hui, on estime que, dans les pays industrialisés, plus de 25 % des enfants présentant une déficience visuelle sont atteints de troubles visuels d’origine corticale (CVI).
Par Matthias Zeschitz*
CVI : signification
Contrairement à une déficience visuelle d’origine oculaire caractérisée par une atteinte de l’œil ou du nerf optique, un trouble de la perception visuelle, c’est-à-dire un trouble visuel d’origine corticale (« Cerebral Visual Impairment », CVI), est causé par des modifications post-chiasmatiques des processus de transmission et de traitement des stimuli visuels dans le cerveau.
Il peut s’agir de lésions de structures cérébrales visualisables grâce à la tomographie par résonance magnétique, ou de perturbations dans la communication au sein du réseau neuronal en corrélation avec le codage, la transmission et la mise en lien des qualités spécifiques propres à la vue. Parfois uniquement situées au niveau des microstructures ou des cellules, les lésions ne sont pas toujours associées à une structure organique. Il n’existe actuellement aucune étude épidémiologique sur les causes ou la fréquence du CVI. Cela s’explique notamment par l’absence de consensus scientifique sur la définition du CVI.
La cause la plus répandue de CVI pourrait résider chez les prématurés dans des lésions de la substance blanche périventriculaire (LPV) : 80 % des enfants concernés présentent des troubles de perception visuelle (Jacobson et al., 1998). A la suite d’un manque d’oxygène ou de circulation sanguine, des cellules du cerveau situées dans la partie dorsale ou latérale des ventricules latéraux meurent. Les déficits des enfants se manifestent surtout au niveau de l’attention visuelle ou lors de tâches sollicitant les capacités visuo-spatiales.
D’autres causes sont les malformations cérébrales congénitales, les lésions cérébrales périnatales, la méningite, l’encéphalite, ou un traumatisme crânio-cérébral. Les groupes à plus haut risque sont les enfants prématurés ou atteints de parésie cérébrale, notamment lorsque ces troubles sont liés à un handicap intellectuel ou à une épilepsie.
De nouvelles études (cf. Stiers, Belgique, 2012) révèlent que l’on a constaté des troubles de la perception chez environ 2/3 des enfants de cinq ans ayant subi une asphyxie périnatale et chez 1/3 d’enfants en âge scolaire atteints d’une parésie cérébrale. Seule une minorité de ces enfants avaient une acuité visuelle inférieure à 0,3 et étaient donc handicapés de la vue au sens de la loi.
Quelles sont les manifestations du CVI
Le CVI ne décrit pas un symptôme concret mais, selon la définition de la classification internationale du fonctionnement du handicap (CIF), les conséquences d’une déficience des fonctions organiques. Le spectre des atteintes possibles est très large, avec des causes et des manifestations fort différentes. De plus, le CVI peut aussi se conjuguer avec des lésions périphériques oculaires. Une de ses caractéristiques essentielles réside dans le fait que le trouble oculaire ne suffit pas à lui seul à expliquer les anomalies que présente l’enfant.
Un trouble consécutif au CVI peut se répercuter sur l’acuité visuelle de l’enfant, sur son champ visuel, sur sa vision des couleurs et des contrastes, et sur son oculomotricité, tel un trouble oculaire classique.
Les troubles visuels peuvent être liés à la coordination visuo-motrice et se manifester lors d’exercices de motricité fine (dessin et écriture) ou lors de déplacements, et sont alors assimilés à des troubles moteurs.
Ils peuvent se répercuter sur les processus de recherche et d’exploration, la perception des formes, des objets, des visages ou de l’espace, et sont alors aisément assimilés, à tort, à des troubles cognitifs.
Lorsque les troubles influencent la perception de l’espace, leur répercussion peut toucher des domaines très divers de compétences spatiales : dessin, construction, et orientation – allant d’un document riche en informations à une salle de sports surpeuplée.
Longtemps, l’on a accordé relativement peu d’attention aux problèmes propres à ces enfants. Souvent, un comportement inhabituel n’était pas interprété comme un problème de traitement de l’information visuelle, mais comme une difficulté d’apprentissage.
Une attention visuelle réduite constitue un symptôme caractéristique de CVI, mais aussi de tout polyhandicap : sont présumés chez l’enfant une détérioration et un ralentissement des processus de recherche et d’exploration, une activité visuelle limitée dans le temps et, enfin, une diminution de la différenciation des détails perçus.
Parmi les enfants atteints de CVI – surtout polyhandicapés -, l’on constate fréquemment un potentiel visuel instable, manifestement lié à une inconstance de l’attention visuelle. Les enfants atteints de CVI ont besoin de plus de temps pour traiter les informations visuelles perçues et leur endurance visuelle est réduite.
Sont aussi caractéristiques, pour ces enfants, des problèmes visuels survenant dans un « environnement complexe » (préau, piscine, supermarché, sports d’équipe), soit partout où se passent beaucoup de choses à la fois. Autant de stimuli visuels en mouvement qu’il s’agit de trouver, d’analyser et d’identifier rapidement, une source de stress accru pour ces enfants.
Les problèmes d’encombrement visuel (« Crowding ») peuvent survenir partout où il s’agit de séparer des informations visuelles particulièrement denses. Ainsi, les enfants ne parviennent que difficilement à retrouver un jouet spécifique dans une caisse pleine ou à localiser une personne précise au sein d’un groupe. Ils éprouvent des difficultés de lecture lorsque les lettres et les mots sont trop rapprochés. Lors des premiers tests orthoptiques de l’acuité visuelle, il n’est d’ailleurs pas rare que les enfants ayant des problèmes de Crowding soient déjà repérables à leurs difficultés à distinguer des optotypes trop rapprochés.
Certains enfants ont peine à percevoir des stimuli visuels et à accomplir simultanément une action mobilisant leur motricité. L’on parle alors de problèmes de traitement simultané ou parallèle d’informations.
Diagnostic de CVI
Josef Zihl (2012) souligne que, pour que l’on puisse valablement parler de CVI en termes de catégories de diagnostic, il serait nécessaire de disposer d’une liste standard de fonctions visuelles à tester dans chaque cas particulier. Actuellement, il n’existe cependant aucune norme contraignante, ni aucun consensus – national ou international – concernant les critères et les méthodes d’évaluation de CVI chez les enfants.
Le manque de coopération nationale et internationale dans ce domaine a généré l’apparition de diagnostics différents selon les régions. Un exemple de cette régionalisation se trouve dans les différences entre les lignes directrices de la « Gesellschaft für Neuropädiatrie » (société de neuropédiatrie) et celles de la « Deutsche Gesellschaft für Sozialpädiatrie und Jugendmedizin » (société allemande de socio-pédiatrie et de médecine pédiatrique), émises en 2009.
Il y est suggéré de tirer un parallèle entre troubles de la perception et du traitement visuels et troubles de la perception et du traitement auditifs. Ce terme de CVI engloberait des troubles des processus neuronaux qui interviennent après le croisement des nerfs optiques. Les problèmes constatés – et c’est là l’essentiel – ne doivent pas provenir de lésions oculaires.
Le constat d’un trouble de la perception visuelle corticale (trouble de perception et de traitement visuels) se fonde sur des tests d’aptitudes standards (soit des tests de développement et d’intelligence) permettant d’examiner les troubles spécifiques, d’en estimer la gravité et d’exclure un retard purement mental.
Le diagnostic d’un trouble de la perception visuelle corticale, au sens de troubles spécifiques du développement, est avéré lorsque la perception visuelle se différencie clairement du niveau général de développement cognitif et que toute déficience notable de ce dernier peut être exclue.
Ainsi, les prérequis nécessaires pour satisfaire à la définition des lignes directrices consistaient à présenter une intelligence normale et un potentiel visuel normal. Entre-temps, la définition des troubles de la perception visuelle a été élargie et, selon la majorité des spécialistes, elle englobe aussi un trouble fonctionnel supplémentaire chez une partie de la population affectée par des troubles de développement en général.
Les troubles de la perception visuelle peuvent donc aussi être considérés comme une limitation du développement, soit comme une déficience partielle des aptitudes chez des enfants normalement doués, soit comme un trouble de la fonction visuelle chez des enfants polyhandicapés. Ainsi, d’un point de vue clinique, les enfants atteints de CVI font partie d’un groupe très hétérogène. Il semble donc que le CVI caractérise aussi bien une perte importante de l’acuité visuelle – souvent accompagnée de déficiences intellectuelles et motrices – que des troubles partiels isolés de la capacité visuelle chez des enfants, au demeurant, en bonne santé.
A mon avis, la notion de trouble de la perception est aujourd’hui utilisée trop fréquemment, et parfois trop à la légère. Il n’est ni pertinent, ni juste de ramener toute forme de trouble du développement à un trouble de la perception. Il n’est pas adéquat d’évoquer un trouble de la perception lorsque l’on est en présence d’une déficience générale, non sensorielle, de la pensée logique, abstraite.
Il est très important de dissocier clairement les limitations dues à un retard purement mental des troubles de la perception. Tout comme des enfants normalement doués peuvent être sujets à des troubles de la perception, rien ne dit que tous les enfants handicapés mentaux doivent présenter des troubles de la perception. Par contre, Josef Zihl affirme que ces derniers ont toujours des aptitudes et une capacité de perception visuelle réduite. On le constate nettement avec les différentes composantes de l’attention, telles que la vitesse des performances cognitives, la faculté de concentration, l’attention à long terme, mais aussi avec les processus de recherche et d’exploration, ainsi que la perception des détails.
*Psychologue diplômé, Matthias Zeschitz travaille en tant que thérapeute pour enfants et adolescents au « Blindeninstitut Würzburg » (école spécialisée pour aveugles de Wurtzbourg), dans le service d’éducation précoce spécialisée pour enfants aveugles et malvoyants, notamment polyhandicapés.
Bibliographie
- Arbeitsgemeinschaft der Wissenschaftlichen Medizinischen Fachgesellschaften (05/2009): Visuelle Wahrnehmungsstörungen
- Bals I, (2009): Zerebrale Sehstörung: Begleitung von Kindern mit zerebraler Sehstörung in Kindergarten und Schule
- Jacobson, L, et al (1996): Visual impairment in preterm children with PVL: Dev Med Child Neurol 38: 724 – 735
- Stiers P, De Cock, P, Vandenbussche E (1998): Impaired visual perceptual performance on an Object Recognition task: Neuropediatrics 29: 80 – 88
- Stiers P, Vandenbussche E (2004): The dissociation of perception and cognition in children with early brain damage. Brain Dev 26: 81 – 92
- Zihl J, Dutton G N (2014): Cerebral Visual Impairment in Children
- Zihl J, Priglinger S (2002): Sehstörungen bei Kindern: Diagnostik und Frühförderung