Le travail des organisations du handicap visuel sur la bonne voie
Etude REVISA
Achevée en 2022, l’étude REVISA débouche sur un résultat positif : en Suisse, les enfants en situation de handicap visuel ou de surdicécité bénéficient d’une aide différenciée et spécifique. Le Prof. Gérard Bless de l’Institut de pédagogie curative de l’Université de Fribourg, coauteur de l’étude, explique dans tactuel les principaux résultats des deux études et précise sa position par rapport aux critiques émises.
Par Michel Bossart
En tant qu’organisation faîtière du domaine du handicap visuel, l’UCBA a mandaté deux études dans le cadre du projet « REVISA – Identification et reconnaissance de la déficience visuelle en âge (pré-)scolaire ». Le nom du projet est l’acronyme de « Recognition of Visual Impairment in (Pre-) School Age ». Conduite par Martina Schweizer et Peter Lienhard, la première étude s’est achevée en 2021 déjà. Elle portait sur les événements décisionnels à risque dans la prise en charge des enfants atteints de déficience visuelle.
Orchestrée par Dagmar Orthmann Bless et Gérard Bless de l’Université de Fribourg, la seconde étude, terminée en 2022, a examiné la situation actuelle de la prise en charge des enfants malvoyants, aveugles et sourdaveugles dans l’ensemble de la Suisse et analysé les conditions structurelles nécessaires à l’identification du besoin de soutien, à sa planification, ainsi qu’à l’évaluation des mesures dans les cantons suisses.
Dans ses propos adressés à tactuel, le Professeur Gérard Bless a salué les efforts des organisations suisses du domaine du handicap visuel. « Les résultats révélés sont un magnifique compliment aux spécialistes. » En effet, l’étude a confirmé que dans l’ensemble de la Suisse, la prise en charge des enfants en situation de déficience visuelle ou de surdicécité par des personnes spécialisées dans le handicap visuel est assurée dans les trois secteurs concernés que sont le soutien précoce, ambulatoire et scolaire. L’étude en conclut : L’obtention des mesures renforcées repose essentiellement sur la Procédure d’évaluation standardisée (PES) telle que la prévoit le Concordat sur la pédagogie spécialisée. Des plans d’intervention individuels et un contrôle des effets des mesures sont la norme la plus souvent pratiquée.
Gérard Bless de préciser : « Nous avons identifié trois groupes de cantons, des clusters, dont chacun représente une structure et une politique de prise en charge différentes. Le nombre d’enfants atteints de handicap visuel/de surdicécité bénéficiant d’une prise en charge spécifique était à peu près égal dans les trois clusters. Le pourcentage d’enfants atteints de handicap visuel/de surdicécité scolarisés par rapport à l’ensemble des élèves de l’école obligatoire s’élevait à environ 0,17 pour cent dans les trois groupes (= environ 17 enfants sur 10’000), indépendamment de la stratégie de prise en charge cantonale. Certaines différences ont été constatées entre les clusters au niveau de l’étendue de l’offre des mesures spécialisées, de la régularité du soutien ambulatoire et du moment du diagnostic. On ne peut toutefois pas conclure que des disparités qui désavantageraient certains (groupes d’) enfants soient présentes. « Les enfants atteints de handicap visuel/de surdicécité d’âge scolaire recevant un soutien apporté par les prestataires spécialisés bénéficient donc, selon l’étude présentée ici, d’une aide différenciée et spécifique », constate Gérard Bless.
Le problème : le manque de données
Les chercheurs ont été confrontés à un manque de données exactes concernant la prévalence. Cette insuffisance s’explique notamment d’une part par la diversité des définitions des déficiences visuelles et de la surdicécité dans le monde. D’autre part, la prévalence d’une déficience visuelle chez les enfants et les adolescents semble varier fortement en fonction du contexte socioéconomique dans lequel ils évoluent. Le terme générique de handicap visuel réunit diverses acceptions, allant d’une perception visuelle (fortement) limitée (malvoyance), à un accès visuel au monde totalement inexistant (cécité). D’autres critères portent par exemple sur le moment de l’apparition du handicap visuel (handicap congénital ou acquis), sur sa progression (handicap stable ou à évolution progressive) ou encore sur sa complexité (handicap unique ou multiple). « Ces divers degrés de déficience visuelle plus ou moins prononcée constituent autant de défis différents à relever pour l’environnement de vie adapté à la personne concernée, y compris des mesures de soutien et d’encouragement pédagogiques appropriées », explique Gérard Bless. Il ajoute qu’un soutien pédagogique adéquat constitue un phénomène multifactoriel complexe, un concept qui ne se mesure pas tangiblement.
Qu’en est-il réellement ?
Avec l’aide des cantons et des prestataires spécialisés, 1’639 enfants atteints de handicap visuel/de surdicécité domiciliés en Suisse et fréquentant l’école obligatoire durant l’année scolaire 2020/2021 ont été identifiés sur l’ensemble du territoire. 95,8 % d’entre eux (soit 1’571 élèves) recevaient un soutien spécifique au moment de l’enquête et celui-ci leur était apporté par un prestataire spécialisé du domaine du handicap visuel. Tandis que la moitié de la population étudiée fréquentait une classe ordinaire de l’école obligatoire, l’autre moitié suivait une école spécialisée du handicap visuel ou une école spécialisée pour autres handicaps. Pour résumer les propos de Gérard Bless, « Sur l’ensemble du territoire, le soutien spécifique des enfants en situation de déficience visuelle/de surdicécité est globalement assuré. »
Mirko Baur, directeur général de la Tanne, dans le canton de Zurich, récuse cette affirmation. Dans l’édition 1/2023 de « blind – sehbehindert » (revue pédagogique du handicap visuel en allemand), Mirko Baur a critiqué les résultats de l’étude REVISA. Il déplore par exemple le fait que seuls 74 enfants et adolescents en situation de surdicécité aient été pris en compte par l’étude. Selon lui, ce chiffre ne représente que la moitié des élèves concernés, puisque l’estimation la plus récente pour la Suisse table sur une prévalence de 0,01%, soit environ 147 enfants et adolescents pour la période sous revue.
Pour Mirko Baur, les données fournies par l’étude REVISA sont malheureusement un indice révélateur d’un nombre de cas non recensé très élevé d’enfants et d’adolescents en situation de surdicécité. Gérard Bless rétorque : « Les chiffres de REVISA proviennent des cantons ainsi que des prestataires spécialisés, notamment de la Tanne ». Très souvent, les prévalences sont surestimées, car elles ne se fondent pas sur des données, mais sur des estimations, suppose-t-il. Il peut arriver que dans des écoles pour élèves en situation de handicaps sévères, certains enfants malentendants- malvoyants ne soient pas identifiés comme tels. Toutefois, « ce cas de figure ne suffit pas à expliquer les différences mises en avant par Mirko Baur. Sans compter qu’une malentendance-malvoyance constitue une déficience très importante. Il m’est donc impossible de concevoir que la moitié des enfants et adolescents concernés soient oubliés ou ne soient pas décelés. Ces chiffres pourraient être expliqués par l’hypothèse selon laquelle chez des personnes présentant un handicap multiple sévère, la déficience auditive et visuelle est occultée par d’autres graves problèmes, fréquemment de santé. »
Dans l’article précité, Mirko Baur dénonce également la conclusion de l’étude selon laquelle dans l’ensemble de la Suisse, la prise en charge des enfants en situation de déficience visuelle ou de surdicécité par des personnes spécialisées dans le handicap visuel est assurée dans les trois secteurs concernés que sont le soutien précoce, ambulatoire et scolaire. Si les compétences en termes de déficience visuelle sont nécessaires, elles ne sont cependant pas suffisantes en cas de surdicécité, une déficience qui se répercute sur tous les domaines du développement et de la vie. « Oui, je suis d’accord », acquiesce Gérard Bless. Cependant, en Suisse, cette spécialisation ne devrait pas faire l’objet d’une formation complète, mais d’une formation continue, le nombre de personnes concernées étant trop restreint compte tenu de la taille du pays.
Gérard Bless n’est pas favorable aux revendications de Mirko Baur pour un renforcement de la coordination intercantonale. « Nous avons réparti les cantons en trois clusters afin d’établir les différences, mais nous n’en avons guère trouvées. Pour moi, le problème provient surtout du fait que chaque canton souhaite avoir un prestataire spécialisé. A mon avis, la taille critique n’est pas suffisante. »
Ce qu’il reste à faire
Même si les conclusions des études REVISA donnent à penser qu’en Suisse, la situation des enfants et des adolescents présentant une déficience visuelle ou une surdicécité est généralement très satisfaisante, les chercheurs constatent pourtant un potentiel d’action bien réel. Les recherches à venir pourraient par exemple s’intéresser plus particulièrement à la question suivante : tous les enfants concernés bénéficient-ils du même accès aussi précoce que possible à ce système de prise en charge qui fonctionne si bien ? En outre, il serait judicieux de développer, à des fins pratiques, une politique d’information active sur les prestataires spécialisés disponibles et le volume de leur offre. Les chercheuses et chercheurs ciblent ici tout particulièrement les médecins, qui devraient être informés de tous les chemins d’accès vers ce système de prise en charge. Gérard Bless de conclure : « Nous espérons que lors de dépistages, une plus grande attention soit dorénavant portée sur les différentes causes possibles de déficience visuelle ou de surdicécité. En effet, plus une déficience est diagnostiquée tôt, plus il est possible d’agir, même si les causes du handicap ne le permettent malheureusement pas toujours. »